Il y a quelques années de ça, je
bataillais déjà pour joindre les deux bouts.
Passées les nécessités
matérielles et celles du ventre, passés les besoins, je ressentais cet
après-midi là une envie, forte.
Il me fallait lire, j’avais subitement envie de
m’offrir quelque lecture qui me permettrait peut-être de m’évader un peu. Je n’avais
pas envie d’autre chose, je voulais lire, une envie presque irrationnelle, irrépressible.
J’allais, sans un sou en poche,
comme d’autres font les vitrines et rêvent devant des robes hors de prix et
autres objets inaccessibles, regarder les nouveautés littéraires et m’abîmer
dans la lecture des résumés.
Je lirais bien celui-ci, il me
faut celui-là, passant un moment interminable à faire semblant de choisir,
sachant que je repartirais sans rien. Je ne suis pas de celles qui se font
envie devant ce qu’elles ne peuvent avoir, pourtant ce jour-là je ne pu m’empêcher
de toucher les livres et de contempler tout ce à quoi je ne pourrai accéder.
Je finis par rentrer bredouille,
sans surprise.
Ce qui me rendis dépitée, et
profondément triste. Sur le chemin du retour, je m’attardais le long du canal,
c’était un jour d’été et il faisait beau. Je me sentais seule et déprimée, et n’avais
pas envie de rentrer. Mon sentiment d’injustice et moi nous assîmes sur un banc
face aux bateaux, à ruminer sur mon sort, moi qui n’avais même pas de quoi
m’offrir un livre.
Cette envie frustrée
assombrissait ma journée, et m’avait plongée dans un état d’esprit très noir,
dans une grande tristesse, de façon disproportionnée.
Autant l’envie avait été subite
et forte, presque incongrue, autant je savais avant de partir que je reviendrai
bredouille, autant j’étais déçue de constater qu’en effet, j’étais revenue
bredouille. La déception était énorme, enfantine, capricieuse et mordante.
Une silhouette sortit d’un
bateau devant moi, et un homme s’approcha.
Il s’assit à côté de moi, et me
dit « excusez-moi, est-ce que vous aimez lire ? ».
Sa question était tellement à
propos, que j’eu l’impression qu’il avait lu mes pensées, et je bredouillai
« oui, pourquoi ? ».
« Parce que je fais un tri,
et j’ai plusieurs sacs de livres dont je me sépare, je voudrais les donner à
quelqu’un qui aime lire, je vous les
donne si vous voulez ».
…
Je retournai chez moi avec une
vingtaine de livres.
Aucun ne m’a plu finalement (il
ne faut pas pousser la chance), mais je suis rentrée ce jour là le cœur
léger, et cet inconnu avait balayé en
une seconde tout le ressentiment et la peine que j’avais accumulés au fil de la
journée. J’avais du baume au cœur.
J’ai gardé cet instant dans ma
mémoire comme une question, un grand point d’interrogation sur ce qui s’est
passé ce jour là. Un petit moment de grâce.
Même quand je mets les mots
« coïncidences » et « chance » sur ce moment, le point
d’interrogation demeure, contre ma volonté, avec un doux sentiment de chaleur, comme
un petit bout de pur bonheur, celui d’avoir reçu un cadeau, et d’en avoir fait
un en retour, d’un inconnu à une inconnue.
Bonsoir,
RépondreSupprimerun texte qui me rappel,bien des anecdotes que j'ai vécu !!!
amicalement Denis
Texte agréable, sauf que son plaisir n'aurait-elle pas pu le trouver dans une bibliothèque et en ressortir avec un livre qu'elle aurait aimé et en plus en savourer la lecture à une superbe terrasse ? Et dans des bouquineries elle aurait pu aussi trouvé à très faible prix un livre quelconque qu'elle aurait encore là, appréciée. Merci tout de meme. petit divertissement agréable.
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