dimanche 8 septembre 2013

J'aurai ce que je mérite

                                
« La mort ne nous concerne en rien puisqu’elle ne concerne ni les vivants parce qu’elle n’est pas, ni les morts parce que nous ne sommes plus », Epicure.
Alors à quoi servent les rites funéraires ?
A éloigner le corps, nous épargner la vision de sa décomposition, cacher l'épouvante à laquelle nous sommes tous promis. Non, vraiment, à rien d'autre.

Le reste n'est que prétexte à ça, depuis la nuit des temps. Montrer sa peine (ça sert à quoi) ? Dire adieu (à qui ? Il fallait le faire avant !) ? Soutenir la famille (franchement, ça va changer quelque chose à leur chagrin ??) ? 
On se réunit, surpris de constater qu'alors qu'il est trop tard, tout le monde ou presque a répondu présent pour dire adieu à quelqu'un qui n'entend plus, davantage qu'à l'occasion d'un joyeux événement, quand "il était encore temps". La mort rend disponible.

On y pleure, de son propre chagrin ou par compassion, parce que le chagrin de ceux qu'on aime est insupportable.
On écoute un homme qui ne connaissait pas la "disparue", nous dire qu'elle est morte parce qu'elle était bonne et qu'elle est aux côtés de Dieu maintenant, et qu'il faut être heureux pour elle.
Parce que c'est cool d'être aux côtés de Dieu, et qu'il a le droit, lui, de dire "tiens elle est trop bonne, hop par ici".

Quoi ? Elle a 4 filles et un époux qui viennent de perdre leur frère/enfant, sans compter toutes les autres épreuves, et qui n'en supporteront pas davantage ? Baaaaah oui mais bon... tant pis. Moi d'abord.
Et tant qu'à faire, autant faire partir le fils avant la mère condamnée, histoire de bien rajouter de la douleur morale à sa douleur physique avant sa propre mort.
Ben pourquoi tu ne fais pas les choses à fond ? Prends les tous en même temps ! ça change quoi pour toi ?
Ha ben non j'suis bête. Ils n'auraient pas le bonheur de savoir que tu leur fais subir cette "terrible épreuve" parce que tu les aimes justement, et parce qu'ils sont "bons", et sont tes "enfants".
C'est bien connu, on fait souffrir le plus possible nos enfants, en leur rappelant bien que c'est parce qu'on les aime. On va quand même pas se montrer aimant faudrait pas déconner, ça serait trop simple.

Mais faudrait savoir.
Tu prends les bons, mais tu laisses les bons, les premiers parce qu'ils sont bons, les seconds parce qu'ils... sont bons... 
Ha ça y est j'y suis : "Dieu ne peut pas sauver tout le monde".
Alors si mourir, c'est être sauvé... l'enfer c'est ici ? Dans ce cas qu'est-ce qu'on doit craindre si le pire est déjà là ?
Démerdez-vous avec ça.

Bref. Ce simulacre de Père divin, céleste, sert à se rassurer et à atténuer sa propre peine,(pour ma part, la cérémonie ne fait que l'accentuer davantage), la disparue n'a pas vraiment disparu, et elle est plus heureuse qu'elle ne l'a jamais été. (Haaa ben tout va bien alors).
Donc nos pleurs ne sont pas pour elle, on pleure sur nous-mêmes, égoïstement, de la privation de sa présence. Culpabilisons ensemble d'être des crevards qui pleurent sur leur propre sort.
Moi je m'en fous remarquez bien, j'ai bien compris que le chagrin est égoïste, j'assume.
La mort n'est insupportable que pour ceux qui restent et doivent faire sans l'autre, que d'aucun préfèrera imaginer heureux quelque part, et qui selon moi n'est plus du tout et commence à pourrir dans la boîte en face de nous. Game over. ("Play again" étant remis à plus tard pour ceux qui croient que l'univers est une partie géante de flipper).

La thanatomorphose, la transformation ultime. Beurk. Personne ne veut voir ça. On enterre, on brûle, on éloigne, on embaume, on rend "joli", l'autre dort, il semble apaisé, tranquille, et on oublie le temps de son éloignement ce qui se joue dans ses entrailles, et se jouera dans les nôtres.
Les funérailles sont un tour de passe-passe.
D'ailleurs "croque-mort" vient de "croc", faire disparaître.
On ne veut plus le voir (ainsi).
ça me fait penser au film "La plage", où après l'attaque d'un requin le malheureux survivant ne suit pas l'ordre établit et ne meurt pas, commençant à se décomposer aux yeux de tous, leur chagrin laissant la place peu à peu à l'impatience, la gêne, l'agacement, la colère puis son éloignement, pour qu'ils soient enfin tous libérés de sa présence et de son spectacle, et à nouveau insouciants, exemptés de la vision de sa décomposition (et de leur propre issue). Ce qu'on ne voit pas n'existe pas. Oui, en contradiction directe avec la religion.
Chacun se rattrape à ce qu'il peut, pour atténuer sa peine lors de la cérémonie et après. On ne peut le reprocher à personne.

Mais pour ma part tout est très simple.
Ma disparition ne me fera aucun mal puisque je ne serai plus là pour en être consciente.
Comme quoi la mort des autres nous renvoie bien toujours à notre propre fin, ou à celle de ceux qui nous sont le plus chers.
Elle blessera mes proches, mon corps disparaîtra à son tour, et s'il y a quelque chose ensuite, (après tout, rien ne me prouve que ce ne soit pas le cas, ni le contraire), bah j'aurai ce que je mérite.