Il est des cages qui sont invisibles.
Des carcans imaginaires qui enserrent
et empêchent de respirer tout l'air que l'on voudrait, des chaînes qui vous rivent au sol quand l'on voudrait voler.
Parfois, on naît avec.
Parfois, elles s'immiscent et se
verrouillent doucement, au fil du temps, sans bruit, sans que l'on s'en rende
compte.
On se croit libre, mais on est comme
l'oiseau auquel on a coupé une plume.
On vole, dans un espace restreint,
croyant être libre, on respire, croyant inspirer tout l'air nécessaire.
La vie s'écoule, on apprend à évoluer
dans cet espace restreint, qui convient à tout le monde, et l'on fait taire ce
qui couve au fond de soi, cet élan qui dit on ne sait quoi, ce chuchotement
inintelligible qui voudrait nous dire que l'on attend quelque chose.
On sent bien que l'on est incomplète,
sans savoir pourquoi, ce qui nous manque, ce que l'on cherche, ce que l'on
espère.
Quelle meilleure façon de ne pas être
déçu(e) que de ne rien attendre.
Pourtant c'est toujours là.
Un sentiment d'incomplétude.
Une sensation d'inaccompli.
Une aspiration à l'absolu.
Un trouble qui vient gâcher le vol de
l'oiseau qui se croit libre.
Quel paradoxe que de vouloir museler
cette voix qui voudrait briser la cage, pour mieux se sentir libre dans cette
fausse liberté.
Quelle paradoxe que d'avoir peur de
sa liberté, entière.
On traverse alors sa vie comme un
voyageur sans destination, visitant des paysages toujours identiques, où il
manquerait l'essentiel, le sentiment de se sentir chez soi, le sentiment d'être
soi-même, d'être là où l'on voudrait être, où l'on devrait être.
Le sentiment de l'évidence. Je suis
moi, et je suis là où je dois être.
Il est des personnes qui sont comme
des terres. Elles nous ramènent à nous-même, à nos racines. Des miroirs de
l'âme.
On les découvre et c'est soi-même que
l'on découvre, on les écoute et c'est notre chuchotement qui devient enfin
intelligible, on les suit et c'est notre chemin que l'on parcourt.
Et comme le voyageur s'émerveille en
ayant enfin trouvé son port d'attache, comme il sent dans ses tripes que c'est
ici, ici qu'il se sentira chez lui, ici qu'il plantera ses racines, comme lui
on sent nos propres racines se planter dans son sol, et s'ancrer dans les pas
de cet autre qui nous a révélée. Il devient nos terres, notre maison.
On prend alors toute la mesure de la
fausse liberté dont on jouissait jusque là, comme si l'on découvrait qu'on
avait toujours respiré d'un seul poumon.
On prend la mesure de la vraie
liberté, celle d'être enfin soi-même.
On prend le risque d'être libre,
quand bien même cette liberté paraîtrait tout le contraire au reste du monde.
Quand bien même elle prendrait la forme d'une autre cage, mais que l'on a
choisie et dont on peut s'extraire à tout moment.
Parce que face à celui qui nous offre
cette liberté et qui seul peut la comprendre et nous l'offrir, face à celui-ci
le reste du monde ne pèse pas lourd.
Et si cette liberté s'exprime à
priori paradoxalement par des liens, quelle importance, si d'aucun n'y voit que
des liens c'est qu'il est aveugle. D'autres liens se tissent, comme les racines
dans la terre que l'on a choisie, qui nous a choisie.
Et plus elles s'ancrent
dans cette terre, plus on grandit, plus on s'agenouille à ces racines et plus
on s'élève.
Même s'il n'est pas toujours facile
de prendre le chemin de la connaissance de soi, que cela ranime des choses
enfouies, même si le chemin est sinueux ou douloureux, c'est sur ces terres là
que l'on veut désormais cheminer, vieillir et se sentir enfin chez soi, tout en
commençant enfin le voyage, le voyage immobile.