Le vertige.
Qu'est-il finalement que la peur de perdre l'équilibre, et de tomber.
La peur de la chute. Seul(e) face au vide, elle promet l'inexorable fin.
Toute notre vie nous nous efforçons de rester en équilibre, de garder le contrôle.
C'est une lutte difficile et longue, et ces moments où nous nous sentons sur le fil peuvent être terrifiants.
Il est bien des moyens soit d'éviter cette situation inconfortable, soit de trouver la perche qui maintiendra l'équilibre, nous avons chacun les nôtres.
Une manière de nous rassurer, de faire un pas en arrière, de reprendre le contrôle, certain(e)s qu'alors, une fois celui-ci retrouvé, tout ira mieux.
Eviter
l'inconfort.
Parfois on retrouve par le contrôle la sensation d'exister, de laquelle le gouffre se rapprochant nous avait éloigné(e).
On existe notamment par son corps et par le fait qu'on le ressente. D'une manière ou d'une autre.
J'existe puisque je ressens. Et en effet, temporairement, tout va mieux.
Et si j'existe, on me verra. Mais ne verra-t-on que la preuve de l'existence, ou l'existence elle-même, voilà qui redonne le vertige.
Et le jour où l'on nous voit, où l'on nous voit vraiment, le vertige reprend, plus fort.
La peur de tomber, la peur de la chute.
Sauf que...
Sauf qu'il arrive un moment où l'on réalise, (non sans une aide "bienveillante" pour utiliser un euphémisme), d'une façon plus ou moins brutale, que la peur de tomber est une "mauvaise peur", que s'évertuer à garder l'équilibre est une fausse bataille, épuisante, et que la chute n'est pas une fin.
Le cataclysme est bouleversant, car rétrospectivement cette prise de conscience éclaire d'un jour nouveau tout notre vécu, et nous laisse entrevoir un avenir différent, dans lequel nous n'aurions plus à chercher en/sur nous mêmes, la preuve de notre existence (et de son utilité).
Ce qui veut dire que nous "fonctionnions" mal jusqu'à présent, et le réaliser est une révélation.
Que nous trouvions l'Autre, et tout prend sens.
Il ne faut pas avoir peur de la chute.
Il faut tomber.
Il ne faut pas garder l'équilibre, il faut le perdre.
Il ne faut pas garder le contrôle, il faut se libérer en l'offrant, en toute confiance.
Alors seulement la chute prend sens également.
C'est une naissance. Même pas une renaissance.
Elle est nécessaire, elle est même indispensable.
Elle n'est pas la fin redoutée, mais le commencement.
Il faut tomber, se perdre, en sachant que l'on nous rattrapera, en ayant tellement foi en cela qu'on en vient à désirer tomber, ce que nous avions évité tout au long de notre vie, de toutes nos forces.
L'Autre vous a conduit au bord du gouffre, sans que vous n'ayez compris son dessein au préalable, jusqu''à ce que le vide se trouve subitement devant vous. Il a volontairement généré ce malaise, cette mise en danger. Un moment d'affolement qu'il sait calmer, il connait le chemin vers lequel il vous guide, et vous le ressentez à chaque instant.
Il ne faut plus se débattre et résister, c'est douloureux et c'est la cause du vertige. Il faut se rendre.
Il attend patiemment le moment de cette naissance.
On offre alors sa chute et l'on s'offre soi-même, on se jette dans le vide les yeux fermés et les bras tendus, et l'on réalise qu'on lui offre ce qu'on avait toujours refusé jusqu'à présent, alors que l'on gardait l'équilibre sur le fil.
L'abandon et la confiance absolue.
L'acceptation.
Et dans la chute l'écho se fait de cet abandon, de ce qu'il représente pour l'un et pour l'autre, et vous vous en délectez.
A partir de cet instant, on a levé le voile que vous aviez devant les yeux depuis toujours.
Vous êtes.
Et vous êtes fier(e) d'avoir compris la "leçon" et de mériter la chute qu'il vous offre.
Et pour l'un comme pour l'autre, plus rien ne peut plus vous atteindre.
Vous êtes invulnérables.