J'étais arrêtée
aux feux, dans ces moments où quelques minutes d'attente nous semblent
interminables, comme si l'on était soumis à un planning de ministre.
Ce qui n'est pas
mon cas aujourd'hui.
A la radio un
truc imbuvable passait, et j'avais renoncé à zapper, pour tomber sur un autre
truc imbuvable, que j'écoutais à peine de toute façon.
Le temps
maussade n'avait pas découragé les gens, qui déambulaient dans les rues, et à
la faveur de ces quelques minutes à l'abri dans ma voiture, j'ai observé leurs
visages, imaginé leurs mots.
C'est un petit
jeu que l'on fait tous je crois, observer les gens aux terrasses des cafés et
les passants, qui observent les gens à l'arrêt dans leur voiture...
Sans doute se
demandent-ils où l'on va, alors que l'on se demande qui ils attendent, qui ils
rejoignent, qui ils espèrent peut-être, à quoi ils pensent.
Elle était à
l'arrêt de bus.
Et de toutes
ces personnes, au milieu de tout ce chaos, elle était comme une image arrêtée
au milieu d'un film accéléré. Un silence dans le vacarme.
Sa silhouette
ramassée aimantait mon regard, comme le font si souvent les personnes âgées, qui
me semblent recéler de mots qui ne seront plus dits, de trésors autrefois
convoités.
Entourée de
jeunes qui s'agitaient, incapables d'immobilité, elle était l'immobilisme. Un
chêne à peine effleuré par la tempête qui souffle, un livre qui sent la
bibliothèque et les pages racornies au milieu des mp3, un anachronisme attendant
le bus.
Elle a été
jeune, et ils seront comme elle. Quelques secondes et j'essayais d'entrevoir la
jeune femme qu'elle avait été, la personne à l'intérieur de ce carcan rouillé.
Je pensais
alors à ses jambes qui la trahissent, qui ont dû faire se retourner les hommes,
à ses mains déformées qui ont dû caresser des corps aimés, au fruit tendre qu'a
dû être sa bouche fripée, brulant autrefois les lèvres d'un amant.
Au milieu de la
foule, j'ai vu cette vieille dame au regard perdu, et je m'y suis perdue aussi,
l'espace d'un instant. Assaillie d'une tendresse soudaine, j'ai vu
l'aujourd'hui et l'hier sur ce banc, le visible et l’invisible.
Elle était à
l'arrêt de bus et c'était presque une statue, comme il en est de si belles que
l'on regarde à peine tant elles font partie du décor. Mais si l'on s'approche,
si l'on s'approche tout près, je suis sûre que l'on peut entendre battre leur cœur
au rythme d'un amour lointain, au son d'une jeunesse perdue.
Le feu est passé au vert, et j’ai arraché mes yeux du cœur
de la statue.
Sublime ! Un régal pour le coeur...
RépondreSupprimerAhhhh la capacité de l'immobilisme ! ! ! comme j'aimerais la transmettre a mes hyper-actifs petits enfants
RépondreSupprimermerci